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Hiver 1709 : - 30°C à Paris...

En 1708, Louis XIV n’est plus le prestigieux souverain de ses débuts. L’homme a maintenant soixante dix ans, un record si l’on considère qu’au XVIII° siècle, l’espérance de vie atteint à peine la quarantaine. Mille petits maux affectent son existence et lui rendent le quotidien bien pénible à supporter : migraines, goutte, douleurs dentaires, varices, inflammations gastriques....

Sur les portraits officiels, le roi soleil en impose encore. Lors des réceptions officielles, sa prestance, son charisme intimident les ambassadeurs étrangers. Mais quand le rideau tombe sur l’immense scène du pouvoir qu’est le château de Versailles, quand il n’est plus personne pour admirer l’éclat de la Monarchie, le souverain devient le vieillard mal en point et fatigué que les domestiques connaissent bien.

Le royaume de France est à l’image du monarque usé et affaibli. Le temps des victoires militaires est passé. Le pays se trouve engagé dans des conflits qu’il ne peut plus espérer remporter. La guerre de Succession d’Espagne (1701-1714), commencée sept ans plus tôt, menace de s’achever sur un ultime désastre. L’Europe est aux portes des frontières. Cette fois, il ne s’agit plus de se battre pour apaiser la soif de conquêtes du souverain. Il faut déployer son énergie à préserver l’essentiel : le territoire.

Les interminables campagnes de Louis XIV ont coûté très cher. La population se ruine à payer des impôts de plus en plus lourds. Le monde paysan se débat dans une affreuse misère que rien ne semble soulager.

Les caprices du climat s’ajoutent aux misères endurées : étés pluvieux ou trop secs, hivers rigoureux détruisent les récoltes à venir. Le sceptre obsédant de la famine n’est jamais long à paraître. Les souvenirs tragiques de la grande crise agricole de 1661-1662 et de 1692-1693 demeurent inscrits pour longtemps dans les mémoires. Les plus vieux n’oublient pas les milliers de morts, les épidémies foudroyantes, les révoltes que le désespoir entraîne toujours.

En ce mois de Décembre de 1708, des températures particulièrement clémentes adoucissent quelque peu l’existence bien difficile des Français. A Paris, le thermomètre indique 10°c. Pour la saison, cette situation est inhabituelle, presque troublante....L’hiver aurait-il décidé de laisser le royaume épuisé en paix ?

La catastrophe, que personne n’a su prévoir (La météorologie moderne n’est pas encore née à l’époque), se produit dans la nuit du 5 au 6 Janvier 1709. Une terrible vague de froid, inconnue jusqu’alors de mémoire d’homme, recouvre le pays. A Paris, les températures s’effondrent en quelques heures : on relève sous abri -30°c. A Montpellier, il fait -17°c, -20°c à Bordeaux.

La Seine est rapidement prise par la glace, toute la navigation fluviale est interrompue jusqu’à Rouen. Sur le littoral, par endroit, la mer se pétrifie.

Dans les campagnes, le désastre est complet. Les sols gèlent sur plusieurs dizaines de centimètres en profondeur. Les semailles de l’automne sont perdues, il n’y aura pas de récolte pour l’année. Les arbres fruitiers, les pieds de vigne pourrissent sur place.

En forêt, le froid est tel que l’écorce des chênes les plus puissants éclate dans des craquements lugubres.

Des témoignages rapportent que « les corbeaux gelaient en plein vol », que « les troncs se fendaient en deux comme sous la hache du bûcheron ».

La population est prise au dépourvu. Du plus riche au plus misérable, le froid n’épargne personne. A Versailles, les cheminées, mal conçues, ne parviennent pas à réchauffer les appartements royaux. Des domestiques indiquent dans leurs mémoires que « le vin du roi gelait dans les carafes » et que « celui-ci l’exposait à la chaleur des flammes pour en boire ». Louis XIV renonce un temps à ses sorties quotidiennes et demeure cloîtré dans l’intimité de ses logements. Pour le monarque qui adore la vie au grand air, le supplice est affreux. Son petit-fils, le duc de Berry, n’a pas la sagesse de l’imiter. Malgré les rigueurs de l’hiver, il part chasser dans la forêt de Versailles. L’un de ses valets, porteur des fusils royaux, revient au palais les doigts en si mauvais état qu’il faut l’amputer d’urgence...

Les populations les plus humbles sont les grandes victimes de la catastrophe. Chaque matin, dans les rues de la capitale, des dizaines de corps sans vie sont retrouvées, pris par le gel. Dans les chaumières de campagne, souvent mal protégées, les températures ne dépassent pas -10°c. A ce régime, les plus faibles ne survivent pas une semaine.

Au mois de Mai, il gèle encore. Même les plus anciens n’avaient vécu pareil évènement. Avec la venue de l’été, le climat se radoucit. Mais ceux qui ont survécu à l’hiver ne sont pourtant pas au bout de leurs souffrances.

Le réchauffement brutal de la saison provoque les pires inondations du siècle. La Seine entre en crue. Ses flots impétueux emportent dans leur course de nombreuses embarcations qui se fracassent violemment contre les piliers des ponts.

La situation des paysans est désespérée : le froid a anéanti toutes les récoltes. Les prix du pain grimpent en flèche, une atroce famine gagne les provinces du royaume. Des témoins rapportent que les plus démunis en sont réduits à consommer de l’herbe, des racines ou des plantes. Comme souvent en ces moments là, la maladie s’attaque aux organismes affaiblis et mal en point. Des épidémies de fièvre, de typhus, de paludisme, de variole emportent des milliers de personnes. Les vieillards et les enfants payent un lourd tribut aux infections.

Un peu partout des troubles se produisent. Des bandes de paysans affamés s’attaquent aux convois de blé, aux boulangeries où ils espèrent trouver du pain. Louis XIV s’inquiète de la situation : les désordres menacent de s’étendre à l’ensemble du royaume si rien n’est fait. A Paris, il fait distribuer gratuitement des vivres. En province, il ordonne que les prix du pain soient bloqués afin que chacun puisse s’en procurer. Il demande même à ce que sa vaisselle en or soit fondue au profit des plus malheureux. Quelques courtisans imitent son geste.

Les conséquences du grand hiver de 1709 sont incalculables. En certaines régions, dix années entières sont nécessaires pour remplacer les vignes et les arbres fruitiers qui n’ont pas survécu à la catastrophe. Il faut reconstituer des forêts emportées par le gel.

L’action meurtrière du froid, de la famine et des épidémies est responsable de la mort de près d’un million de personnes, en majorité de jeunes enfants.

Epuisé par les guerres interminables et les crises agricoles précédentes, le royaume éprouve toutes les peines du monde à surmonter la terrible épreuve.

Le long règne de Louis XIV, commencé sous les meilleurs auspices soixante ans plus tôt, s’achève dans les souffrances et le désespoir d’un royaume fatigué…