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"Sur le coup de minuit, quand dormiront les hommes, l’Inde s’éveillera à la vie et à la liberté"

"Sur le coup de minuit, quand les hommes dormiront, l’Inde s’éveillera à la vie et à la liberté". Discours de Nehru, prononcé à l’occasion de l’indépendance indienne, le 15 Août 1947.

L’Inde, le plus bel exemple d’une décolonisation réussie. Le modèle d’une indépendance acquise par le compromis et la négociation. Réalité ? Ou mythe ?

S’il est exact que le peuple indien n’a pas connu la douloureuse nécessité d’une guerre coloniale, à l’inverse des Algériens des années plus tard, il n’en demeure pas moins que 1947 hante aujourd’hui encore de ses tragiques souvenirs la conscience nationale indienne. Les Britanniques ont-ils à peine évacué le pays que celui-ci sombre dans une affreuse guerre civile responsable en quelques mois de la mort de 500000 personnes. A coup sûr, les rescapés des sanglants massacres, âgés maintenant, ne perçoivent pas les évènements de l’indépendance avec la sérénité de ceux qui les ont vécu à travers les reportages de la presse ou du cinéma.

En 1947, l’Inde présente le visage d’une véritable mosaïque culturelle et religieuse. Sur l’ensemble du territoire, communautés hindoues, sikhs et musulmanes s’enchevêtrent. Les mosquées et les temples se partagent villes et villages. L’utilisation des dialectes traditionnels rend les rapports parfois conflictuels et ne facilitent pas la communication entre ethnies.

La complexité de la situation est très ancienne : elle date des premiers siècles du Moyen- Age quand les navigateurs arabes ont abordé les côtes du sous-continent indien et s’y sont finalement installés.

Au XVII° siècle, les Européens (Français, Anglais...) débarquent à leur tour sur les littoraux les plus riches de la région. Ils apportent avec eux les principes de la civilisation occidentale, dont la diffusion s’accomplit rapidement. A l’issue de la Guerre de Sept Ans (1756-1763), la Grande-Bretagne impose sur le pays sa seule autorité : la France renonce à ses ambitions et se console en s’octroyant la possession de l’Indochine.

Les Britanniques considèrent l’Inde comme le joyau de leur empire colonial sur lequel, selon l’expression consacrée, « le soleil ne se couche jamais ». Ils y développent voies ferrées et manufactures : à la fin du XIX° siècle, Calcutta s’industrialise à grands pas. Les capitaux londoniens permettent l’installation dans les faubourgs de la ville d’usines textiles.

Néanmoins, la croissance économique ne profite qu’à une faible proportion de privilégiés. L’immense majorité de la population vit des ressources de la campagne : des millions de paysans s’épuisent à cultiver une terre aride (Particulièrement sur le plateau du Deccan au centre du pays) et vivent avec la menace chronique des affreuses famines qui ont frappé si souvent par le passé.

La bourgeoisie indienne, instruite des grands principes de la culture occidentale, supporte de plus en plus mal le mépris affiché de la métropole. Les premières revendications nationalistes naissent dans le milieu des années de 1880. La Couronne autorise alors la création d’un Congrès Indien, la situation s’apaise. Députés hindous et musulmans se partagent les sièges mais de profondes fractures éloignent déjà les deux communautés l’une de l’autre. Les points de désaccord sont nombreux et annoncent de futurs conflits. En 1906, la formation d’une Ligue Musulmane, dont le but est de protéger les intérêts de l’Islam, complique encore le tableau.

Les querelles du Congrès entravent son action : l’Assemblée n’a qu’un rôle consultatif, l’essentiel des pouvoirs revient au Vice- Roi, personnalité politique de premier plan, nommée par le souverain de Grande-Bretagne.

Au lendemain de la première guerre mondiale, les aspirations à l’indépendance prennent une vigueur nouvelle. Les Indiens entretiennent l’espoir d’obtenir au plus vite une autonomie complète et définitive. Dans le courant des années 1930, un jeune avocat, Gandhi mène ses premières actions de contestation. Issu d’une famille aisée de Calcutta, l’homme a étudié le droit à Londres. Son diplôme en poche, il revient dans son pays d’origine et plaide pour quelques clients. Instruit des principes de la Glorieuse Révolution de 1688 et de la Guerre d’Indépendance américaine, il s’engage de bonne heure au service de la cause nationaliste. Néanmoins, Gandhi refuse toute utilisation de la violence. Déjà éclatent dans les grandes villes du sous-continent grèves et manifestations. La Couronne se crispe sur ses positions : si le gouvernement britannique admet la nécessité de réformes politiques et sociales, il les repousse à d’autres lendemains.

Le déclenchement du second conflit mondial brise un moment la vague contestataire. L’Inde s’engage toute entière aux côtés de sa métropole. Mais, la paix revenue, la question de l’indépendance se pose à nouveau puisque rien n’a été résolu.

En Juillet 1945, le parti Travailliste remporte sur les Conservateurs un important succès électoral. Attlee prend la tête du Cabinet ministériel. Le maître du nouveau gouvernement est prêt à discuter des conditions dans laquelle la colonie pourrait obtenir son autonomie.

La concertation est d’autant plus urgente que l’Inde devient incontrôlable. Gandhi multiplie les coups d’éclat : grèves et manifestations paralysent le pays. Des milliers de fonctionnaires démissionnent de leurs postes. Suivant le mot d’ordre lancé par le leader nationaliste, « Désobéissance civile », les contribuables ne payent plus leurs impôts, se dérobent aux formalités administratives. En quelques mois, des millions d’hommes et de femmes acceptent le dangereux pari de l’illégalité.

Le Vice- Roi, Lord Mountbatten sent la situation lui échapper : l’anarchie s’installe progressivement sur le territoire dont il a la charge. Il accélère les étapes du processus de décolonisation avec en tête une seule idée : tirer au plus vite la Grande- Bretagne du bourbier où elle s’enlise un peu plus chaque jour.

Au milieu de la confusion générale, les vieilles oppositions entres communautés hindoues et musulmanes se réveillent. Il apparaît bientôt certain que les deux religions ne pourront jamais cohabiter sur un même territoire. Les Britanniques ne doivent plus seulement accorder l’indépendance que l’Inde réclame. Il leur faut aussi travailler à la construction d’un état musulman.

Mais, dans un tel contexte de passions et de colères, rien n’est simple. Aucune des solutions proposées ne peut durablement satisfaire les frères ennemis.

A l’issue de négociations très difficiles, un fragile compromis aboutit à la création du Pakistan. Le nouvel état souffre d’un terrible handicap : son territoire est éclaté en deux. Sa partie occidentale, au Nord- Ouest de l’Inde, est éloignée de plusieurs milliers de kilomètres de ses régions orientales, dans le golfe du Bengale.

En fait, rien n’est réglé. Quand le Pakistan et l’Inde accèdent enfin à l’indépendance les 14 et 15 Août 1947, une terrible guerre se prépare. Les deux pays se disputent la possession des riches régions agricoles du Punjab et du Bengale. C’est à un expert britannique, Sir Radcliffe, que revient la délicate mission de déterminer les frontières. Or le tracé imaginé sur la carte par le diplomate est arbitraire : il ne prend pas en compte les réalités culturelles et religieuses des espaces qu’il traverse.

Au Punjab et au Bengale, des dizaines de villes et villages se trouvent coupés en deux du jour au lendemain. Des mosquées passent du côté indien, des temples du côté pakistanais. Des centaines de communautés hindoues ou musulmanes se voient isolées de leur pays d’origine.

Les violences se déchaînent à partir de l’automne 1947 : de part et d’autre de la frontière, les populations excitées par les plus résolus se livrent à de terribles exactions. Dans un Pakistan offert à l’Islam, les Hindous sont impitoyablement pourchassés. Ceux qui ne franchissent pas à temps la ligne Radcliffe disparaissent dans d’atroces conditions. En Inde, les mêmes scènes d’horreur se reproduisent : des bandes de sikhs parcourent les campagnes à la recherche de Musulmans et assassinent sauvagement ceux qu’ils découvrent.

Les évènements se prolongent des semaines entières. Ils concernent l’ensemble du sous- continent mais le Punjab et le Bengale sont particulièrement touchés. Des millions de réfugiés musulmans et hindous passent la frontière nouvelle et viennent souvent à se croiser. Sur place, Lord Mountbatten assiste au désastre, impuissant : les rapports qu’il envoie régulièrement à Londres résonnent des mêmes mots : hommes, femmes et enfants sont lapidés, brûlés vifs, mutilés, empalés.

Un reporter du New- York Times écrit dans l’un de ses articles « En Inde, coulent aujourd’hui des fleuves de sang ! Rares sont ceux qui ont la chance de mourir d’une balle ! »

Des trains entiers remplis de cadavres franchissent quotidiennement la frontière entre les deux pays, étiquetés chacun « cadeau du Pakistan » ou « cadeau de l’Inde ».

Aux actions sanglantes des plus fanatisés s’ajoutent les incohérences d’une situation sur laquelle personne n’a plus de prise. Dans chacun des districts que la ligne Radcliffe doit traverser, l’heure est au partage : bicyclettes, outils agricoles, automobiles, tout est réparti entre les deux états. Dans les bibliothèques, les autorités vont même jusqu’à démanteler les collections encyclopédiques, l’Inde recevant les ouvrages à numéro pair, le Pakistan obtenant ceux à numéro impair !!!

Au plus fort de la tragédie, Gandhi diffuse sans répit son message de paix et d’entente entre les deux communautés. A Calcutta, il s’oppose comme il le peut aux violences dont sont victimes les Musulmans. En vain. A travers le pays, villes et campagnes sont ensanglantées par d’affreuses tueries.

L’ancien avocat n’échappe pas lui non plus aux violences qu’il condamne. Le 30 janvier 1948, il tombe sous les coups de feu d’un extrémiste hindou.

Le bilan des affrontements est terrible : plus de 500000 morts, des millions de sans-abri, forcés à l’exil pour sauver leur vie, des destructions massives. Mais surtout deux peuples irréconciliables pour très longtemps.

Aujourd’hui encore, Inde et Pakistan revendiquent la possession de mêmes territoires et se livrent, d’Août à Septembre 1965, une courte guerre pour la maîtrise du Cachemire. Elle n’aboutit qu’à un compromis fragile incapable de régler les rapports tendus qu’entretiennent Pakistanais et Indiens.

En 2OO6, l’Asie vit encore sous la menace d’un conflit que New- Delhi et Islamabad pourraient se déclarer. Les adversaires résolus disposent l’un comme l’autre de l’arme nucléaire et s’essayent parfois à quelques démonstrations de force qui rappellent au monde entier que les ruptures nées de la décolonisation indienne ne sont toujours pas cicatrisées.

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