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La Ferme Des Animaux de George Orwell : comment se moquer du régime de Staline lorsque l’on est écrivain ?

Lorsque l’on est Soviétique et que l’on vit dans l’URSS des années 1930, il est particulièrement dangereux de se moquer du régime stalinien : une parole ou un acte mal mesurés peuvent conduire dans un Goulag de Sibérie.

Néanmoins, dans les pays occidentaux, nombreux sont les intellectuels dénonçant ouvertement la dictature imposée par le successeur de Lénine. En 1929, le dessinateur Hergé, père du célèbre reporter Tintin et de son compagnon à quatre pattes Milou, réalise un premier album à travers lequel il exprime sans détour les griefs porté au Communisme : Tintin au pays des Soviets. Profitant d’un voyage à Moscou, le jeune journaliste découvre les excès sanglants du Stalinisme. Au-delà des scènes comiques qu’il imagine, Hergé présente une image peu flatteuse de l’URSS à l’époque de la collectivisation des terres : manipulations de l’information (un Soviétique organise la visite d’un groupe d’experts étrangers dans une usine où les ouvriers tapent sur des tôles pour donner l’impression d’une intense activité), pénuries alimentaires (avec la distribution de soupe populaire dans les rues des grandes villes), naïveté des membres de la Tcheka (La police politique) que Tintin parvient toujours à tourner en ridicule au moyen de ruses dont il a le secret, pression inadmissible lors des élections aux Soviets.... A sa manière, Hergé dresse un sévère réquisitoire contre l’état stalinien, les dérives dont il se rend coupable et ses échecs dramatiques.

En 1945, alors que le second conflit mondial s’achève à peine, un écrivain britannique prend lui aussi la plume pour dénoncer les excès du totalitarisme soviétique. George Orwell (1903-1950) est un engagé de la première heure. Sa participation à la guerre d’Espagne durant laquelle il combat aux côtés des Républicains inspire l’un de ses plus célèbres succès, Hommage à la Catalogne.

Dans un autre de ses romans, 1984, il décrit un futur sans espoir : un monde soumis à la dictature d’un personnage puissant et omniprésent sous les traits duquel on devine sans mal Staline.

La Ferme des Animaux raconte comment les bêtes d’une exploitation agricole se soulèvent contre le propriétaire des lieux qu’elles finissent par chasser et prennent le contrôle des bâtiments. Au fil des pages, le lecteur réalise que l’œuvre est bien davantage qu’une simple fable animalière. Les nombreuses références politiques distillé à l’occasion en font une œuvre partisane et sans concession pour le régime communiste.

 

Chapitre n°1.

Le récit s’ouvre dans la porcherie de la ferme où se sont rassemblés tous les animaux. Chacun écoute avec beaucoup de respect le discours de Sage l’Ancien, un vieux cochon proche de mourir.

Devant son auditoire silencieux, le personnage critique abondamment la domination des hommes qui, pour survivre, exploitent leurs bêtes et le labeur épuisant qu’elles fournissent. Sage l’Ancien expose à ses compagnons le rêve qu’il fait d’un monde nouveau dans lequel les animaux se seraient affranchis du pouvoir pesant de leurs maîtres et conduiraient eux même leur propre existence. La réflexion de l’ingénieux cochon va plus loin encore puisque celui-ci explique à chacun les grandes lignes d’une théorie philosophique inédite jusqu’alors, dont l’aboutissement ultime réside dans libération de l’animal : l’Animalisme.

Au-delà des paroles de Sage l’Ancien et d’une situation somme toute comique, l’auteur délivre un message politique bien réel.

Sous les traits du brillant cochon se dissimule Karl Marx (1818-1883), intellectuel talentueux, artisan de la pensée communiste. Scandalisé par les abus des sociétés capitalistes, l’homme dénonce la condition misérable des ouvriers européens exploités pour l’enrichissement personnel de la bourgeoisie. Il imagine un monde libéré des inégalités de classe : le prolétariat aurait pour lui la gestion des moyens de production et déciderait seul de sa destinée.

Le parallèle est ici évident : aux idées de l’Animalisme exposées par Sage l’Ancien à ses compagnons d’infortune répond dans la réalité des faits la profession de foi du Communisme que Karl Marx répand chez les ouvriers.

 

Chapitre n°2.

Orwell consacre le second chapitre au récit de la révolte des Animaux. Avant d’en venir aux évènements, l’écrivain s’attarde sur la situation dramatique dans laquelle se débat la ferme : le propriétaire des lieux, Monsieur Jones, passe le plus clair de son temps à se saouler. Trop ivre pour s’occuper de son exploitation, il délaisse ses bêtes et ne leur fournit plus de quoi manger : la famine désole les lieux, la colère gronde.

Ce passage ranime le souvenir tragique des difficultés de la Russie au début 1917 : un Tsar (Nicolas II) faible et indécis, incapable de conduire le gouvernement de son pays, l’inflation débridée, le chômage chronique, les pénuries alimentaires qui provoquent devant les boutiques vides des files d’attente interminables.....Les Russes ont faim et s’agitent....comme les occupants de la Ferme.

Le soulèvement des Animaux est aussi brutal qu’inattendu : Mr Jones et ses ouvriers, affolés et pris par la surprise, s’enfuient au loin, accompagnés de Mme Jones. Victorieux les pensionnaires de la propriété font le tour du domaine puis pénètrent dans la demeure du maître déchu où elles découvrent le luxe dans lequel vivait le couple : « Miroirs », « Lits matelassés de plumes noires », « Divans de Bruxelles », « Estampe de la reine Victoria »....

Une fois encore, la scène évoque les révolutions russes de 1917 : l’abdication du Tsar Nicolas II, de son épouse, Alexandra et de leurs enfants (Mr, Mme Jones et leurs ouvriers) à l’issue de manifestations violentes et sanglantes. Le régime abattu, les émeutiers prennent d’assaut le palais impérial dont ils envahissent les pièces et y découvrent, ébahis, tout le faste de la monarchie brisée....

Les Animaux libérés inscrivent sur un panneau les Sept principes essentiels de l’Animalisme : tous les comportements rappelant les attitudes humaines sont désormais interdits. La construction de la société imaginée par Sage l’Ancien est en marche.....

Ces premières mesures renvoient aux décrets de Lénine, mis en application dès le lendemain de la Révolution : armistice avec l’Allemagne et signature de la paix (Mars 1918), partage agraire et démembrement des grands domaines seigneuriaux, organisation de Soviets dans les usines, les villages....

 

Chapitre n°3.

Orwell consacre son troisième chapitre aux descriptions de la vie quotidienne dans la Ferme après le départ de Mr Jones. Chacun des pensionnaires accomplit avec un enthousiasme neuf les travaux agricoles, heureux d’être enfin débarrassé de la domination des hommes. Le lecteur rencontre un personnage fondamental de l’exploitation, Malabar, puissant cheval, courageux, volontaire et énergique. Son adhésion à la Révolution est entière, il suit scrupuleusement les recommandations transmises par les dirigeants du régime.

Ici encore, les allusions à l’URSS stalinienne sont claires : dans les années 1930, la propagande officielle vante les exploits d’un ouvrier vertueux, engagé et doté d’une force peu commune : Stakhanov. Selon la presse de l’époque, l’homme aurait extrait de la mine dans laquelle il travaille une quantité extraordinaire de charbon au cours de la journée. Félicité, récompensé, il est présenté en modèle à ses compagnons.

Le chapitre est aussi l’occasion de mettre en scène l’influence grandissante des cochons de la Ferme, et de leurs meneurs : Napoléon et Boule de Neige. Certes, chacun des occupants de l’exploitation participe de droit à l’Assemblée régulière mais les décisions sont prises en comité restreint, entre les seuls cochons. Les autres animaux assistent silencieux aux débats, sans y prendre véritablement part.

La situation est très proche de ce qui existe en URSS après la Révolution : la réalité du pouvoir revient en fin de compte au parti communiste contrôlé par ses deux figures montantes : Staline et Trotski. Les dirigeants se heurtent rapidement quand approche l’heure de la succession à Lénine. Les querelles de Napoléon et Boule de Neige, que l’auteur expose tout au long de son œuvre, ne sont pas innocentes. Elles soulignent efficacement les tensions existantes au sein du Parti Bolchevique.

 

Chapitre n°4.

Dans le quatrième chapitre, Orwell s’intéresse à Mr Jones : le propriétaire déchu n’a pas renoncé à reprendre le contrôle de sa ferme. Il obtient l’aide de ses voisins pour reconquérir son domaine. Il organise donc une attaque. Les alliés de Mr Jones sont d’autant plus disposés à soutenir ce dernier qu’ils craignent que le soulèvement des animaux ne se reproduise chez eux et inspire leurs propres bêtes. (Napoléon et Boule de Neige ont envoyé à travers le pays des pigeons chargés d’encourager chez les autres paysans une révolte).

A travers ce passage, l’auteur se souvient d’un moment dramatique pour l’URSS : parvenus au pouvoir, Lénine et ses compagnons espèrent diffuser les principes du Marxisme dans les pays occidentaux. La Révolution ne doit pas être seulement soviétique, elle est bien au contraire mondiale. Les évènements survenus en Allemagne en Janvier 1919 (Une insurrection communiste menée par Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht bouscule la République de Weimar et inquiète les puissances européennes). Plusieurs corps expéditionnaires (Français, Anglais...) rejoignent la Russie et combattent aux côtés des armées blanches pour le rétablissement du Tsar sur le trône. Les craintes d’une contagion révolutionnaire conduisent les démocraties libérales traditionnelles à adopter les mesures les plus sévères : en France, une grève de cheminots travaillés par les idées léniniste s’achève par la révocation de centaines d’employés.

Orwell s’attarde sur l’offensive des fermiers : les Animaux mis un moment en danger frôlent la catastrophe. Mr Jones croit tenir sa victoire mais les mauvais rapports qu’il entretient avec ses voisins l’empêchent de parvenir à ses fins : les bêtes sont victorieuses et repoussent le péril. Le régime est sauvé.

A l’été 1918, les Bolcheviques affrontent une situation tout aussi dangereuse : les troupes étrangères contrôlent des régions entières de Russie tandis que l’Ukraine bascule du côté de la Contre-révolution. Lénine et ses compagnons n’ont plus qu’entre leurs mains un territoire aux dimensions réduites, aux environs de Moscou. Néanmoins, les divisions des puissances occidentales et des rangs tsaristes permettent aux Communistes de refouler l’adversaire et de sauver les acquis obtenus en 1917. L’Armée Rouge finit par l’emporter.

 

Chapitre n°5.

Au cours du cinquième chapitre, Orwell décrit l’hostilité grandissante que nourrissent l’un pour l’autre Napoléon et Boule De Neige. La construction du moulin oppose les deux cochons : tandis que Boule De Neige réfléchit aux plans du bâtiment qu’il voudrait ériger, Napoléon estime plus important de se consacrer aux récoltes à venir.

La rivalité s’aggrave et semble sans issue : elle se termine par le bannissement perpétuel de Boule De Neige hors de la ferme, chassé par les six chiens que Napoléon a élevé et engagé pour maintenir l’ordre dans le domaine.

Le clin d’œil est ici malicieux : à travers l’affrontement des deux animaux, l’auteur rappelle les luttes d’influence au sein du Parti entre Staline et Trotski. Le premier finit par l’emporter sur le second : mis en minorité et menacé, Trotski quitte l’URSS et part se réfugier au Mexique où il est assassiné en 1940, sur ordre de son adversaire.

La présence des six molosses entourant la personne de Napoléon n’est pas innocente non plus : elle symbolise la Tchéka, police politique du régime, chargée de traquer les opposants et déjouer les prétendus complots dont Staline se croit la cible.

Comme les Soviétiques, indifférents aux querelles personnelles de ses dirigeants, les Animaux assistent muets aux déchirements des cochons.

 

Chapitre n°6.

Après le départ de Boule De Neige, Napoléon reprend à son compte les projets du fugitif et fait bâtir le moulin à vent. Le travail est épuisant, tous les animaux se mettent à l’ouvrage. Le chantier, que l’auteur décrit assez longuement, rappelle ceux des goulags staliniens où meurent des milliers de prisonniers enfermés là pour une parole ou acte maladroits : tout le jour, les pensionnaires de la Ferme traînent des blocs de pierre dangereux au risque de se blesser, comme cela arrivait très souvent dans les camps de Sibérie.

Ce chapitre est aussi l’occasion pour Orwell de s’attarder sur la décision que Napoléon expose à ses compagnons : il est décidé qu’une part des récoltes serait à présent vendue aux hommes, à l’extérieur de l’exploitation, pour gagner l’argent nécessaire à l’achat d’outils et autres objets de première utilité. Les Animaux s’étonnent : cette mesure contredit l’un des premiers principes de l’Animalisme : tout contact avec les hommes est strictement interdit.

Ce revirement est certes surprenant mais il permet à l’auteur de montrer que les dirigeants communistes reviennent eux aussi sur les théories développées au moment de la Révolution d’Octobre : bien que Lénine poursuive le but ultime qu’il s’est fixé, à savoir la destruction du capitalisme, le personnage doit néanmoins considérer la gravité de la situation financière dans laquelle se débat son pays. Pour relancer une production insuffisante, il tolère l’existence d’entreprises privées dont la concurrence génère des profits. Une classe de commerçants, d’artisans et d’hommes d’affaires enrichis trouve ainsi sa place au sein d’une économie collectiviste, entièrement régulée par l’action d’un Etat omniprésent.

De même que la propagande officielle se charge d’expliquer aux Soviétiques la nécessité du maintien d’un capitalisme, certes limité, Brille Babil, le fidèle valet de Napoléon, chargé du contrôle de l’information, explique aux animaux de la Ferme le bien fondé de la décision de son maître.

Le chapitre s’achève sur la destruction du moulin, mal construit, par le souffle violent d’une tempête d’Automne. A la recherche d’explications, Napoléon décrète que la catastrophe est l’œuvre de Boule De Neige, jaloux de la réussite de ses anciens compagnons. Le cochon est aussitôt condamné à mort pour cet acte.

Ce passage renvoie aux méthodes staliniennes : l’explication systématique de complots plus ou moins crédibles par les manœuvres souvent imaginaires d’un Trotski exilé à l’étranger.

 

Chapitre n°7.

Ce chapitre est l’un des plus importants de l’ouvrage. L’auteur révèle la longue suite de mensonges sur laquelle s’appuie le régime de Napoléon.

La famine ravage la ferme, les récoltes, trop maigres, ne parviennent plus à nourrir les animaux. La désolation règne partout. Soucieux de préserver auprès des voisins une image positive de son œuvre, Napoléon organise une vaste campagne de désinformation : afin de montrer les réussites du domaine, le cochon invite quelques hommes à venir visiter les bâtiments de l’exploitation. Naturellement, la misère des lieux est habilement dissimulée aux yeux des observateurs par diverses manipulations : quand ils achèvent leur excursion, les invités sont persuadés que la prospérité règne parmi les bêtes.

Le parallèle avec l’URSS des années 1930 est net : tandis que la collectivisation des terres produit à travers le pays une atroce famine responsable de la mort de millions de personnes, Staline décide d’afficher à la face de l’Occident les résultats encourageants de sa politique. Plusieurs commissions d’experts internationales se rendent sur place mais ne voient que ce que le régime consent à leur dévoiler : des usines en pleine activité, des campagnes choisies pour leur opulence. Quand ils s’en retournent chez eux, les enquêteurs n’ont absolument aucune idée de la tragique situation dans laquelle se débat le peuple soviétique. La propagande a parfaitement réussi l’opération de désinformation dont elle était responsable.

La peur du complot transparaît aussi clairement dans ce chapitre : l’ombre de Boule de Neige, que l’on sait réfugier dans une ferme voisine, inquiète les animaux. Une fois encore, les soins de Brille Babil font merveille : le fugitif est déclaré responsable de tous les maux qui accablent la ferme : vol, pertes, destructions.....

Ici, la référence à Trotski est sans ambigüité : au long des années 1930, Staline entretient avec succès le mythe du complot orchestré par son adversaire exilé.

Le thème de la réécriture de l’histoire à des fins partisanes est également abordée : Napoléon transforme, modifie les évènements du passé à son avantage : tandis qu’il garde pour lui le rôle le plus important du soulèvement et de la bataille contre Mr Jones, l’action de Boule De Neige au cours des péripéties est réinterprétée : le cochon n’est plus le valeureux combattant des débuts du régime mais un agent à la solde des hommes qui, par son attitude ambiguë, s’est efforcé de donner la victoire à son maître.

A l’instar de Napoléon, Staline utilise l’histoire à ses propres fins : quand il rédige la biographie du dirigeant, Béria respecte scrupuleusement les consignes qui lui sont données et passe sous silence les épisodes les plus compromettants. Si la propagande officielle présente Staline comme l’un des grands meneurs de la Révolution d’Octobre, il est aujourd’hui établi que dans la réalité des faits, l’homme n’a été qu’un simple exécutant des directives lui venant de Moscou.

La période sanglante des Procès de Moscou en 1936 au cours de laquelle Staline fait exécuter plusieurs de ses anciens compagnons inspire à Orwell un passage dont la signification politique ne doit pas échapper : Napoléon écrase dans la violence les oppositions. Quatre cochons sont en effet arrêtés pour de timides protestations. Interrogés, ils avouent effrayés être les agents d’un complot organisé par Boule De Neige. L’ironie que l’auteur met dans son récit montre adroitement que les révélations sont arrachées sous la pression et n’ont aucun fond de vérité. Les prétendus conspirateurs sont ensuite égorgés par les molosses attachés au service de Napoléon. D’autres animaux endurent le même sort pour des délits sans grande importance.

Les méthodes staliniennes sont clairement visées : interrogatoires violents, manipulations des dossiers judiciaires, instructions bâclées, accusés soumis à d’inadmissibles pressions policières, procès inachevés, exécutions sommaires.....En quelques lignes bien tournées, l’auteur ranime le souvenir amer des années 1936-1938.

 

Chapitre n°8.

Le personnage de Napoléon évolue tout au long de l’histoire : le dirigeant de la Ferme se comporte de plus en plus nettement en dictateur. Retranché dans les appartements de Mr Jones, il ne sort que peu de fois par semaine, entouré de sa meute de chiens. Il est devenu inaccessible à ses compagnons.

Cette attitude renvoie à Staline : le maître de l’URSS, obsédé par la crainte d’être la cible d’un complot, se réfugie dans l’intérieur cossu de ses Datcha (sur les bords de la mer Noire par exemple). Econome de ses apparitions publiques, il se contente de présider les grandes manifestations du régime, à l’occasion des célébrations traditionnelles rappelant les évènements de 1917.

Sa garde personnelle ne le quitte jamais et assure sa protection jusqu’à l’entrée de sa chambre à coucher.

Dans le roman, Brille Babil organise autour de la personne de Napoléon un véritable culte de la personnalité. Les titres qui lui sont décernés témoignent d’un charisme sans limite : « Terreur du genre humain », « Protecteur de la Bergerie ». Chacun des pensionnaires voue à son chef une admiration et un respect démesurés. Là encore, se profile l’ombre de Staline, objet de toutes les attentions de son peuple : poèmes et chants à la louange du dictateur alimentent la presse des années 1930 et entretiennent l’adhésion des masses autour de l’homme que les affiches de la propagande illustrent avec plus ou moins de réalisme.

Napoléon entre en relation avec les deux fermiers voisins, Mr Frederick et Mr Pilkington. Les deux hommes sont intéressés par un stock de bois que possèdent les animaux mais Napoléon hésite : à qui doit-il vendre la marchandise ? Les négociations s’éternisent sans que les pensionnaires du domaine soient à un moment ou un autre tenus au courant de l’avancée des discussions. Les tractations contredisent le principe premier de l’Animalisme : aucun rapport avec les humains.

Orwell indique à travers ce passage qu’à la veille de la seconde Guerre mondiale Staline prend contact avec les démocraties occidentales et le régime hitlérien. A l’approche du conflit, la France, la Grande Bretagne sentent qu’il n’est plus temps de négliger le géant soviétique, longtemps mis en quarantaine. Plusieurs rencontres diplomatiques ont lieu et une alliance franco-soviétique est bien prête à se réaliser. Pourtant, Staline joue sur deux tableaux à la fois et envisage des accords militaires avec l’Allemagne nazie, ennemie déclarée du Communisme.

Dans le roman, Napoléon, malgré les garanties apportées à Mr Pilkingston, décide à la surprise générale qu’il vendra son bois à Mr Frederick, bien qu’il n’ignore rien des mauvais traitements que son voisin inflige à ses bêtes et l’hostilité déclarée que celui-ci nourrit à l’égard de l’Animalisme.

Le parallèle est on ne peut plus claire : Orwell rappelle à la mémoire de son lecteur le pacte germano soviétique du 23 Août 1939. Déjouant les plans des démocraties occidentales, Staline accepte les propositions d’Hitler : contre une neutralité bienveillante au moment de l’invasion de la Pologne par la Wehrmacht, il reçoit les régions orientales du territoire attaqué.

Les deux frères ennemis, que tout sépare, font ainsi cause commune. Moscou se compromet avec l’ennemi le plus acharné du Marxisme.

Frederick a-t-il à peine obtenu son bois qu’il se prépare à attaquer la ferme des animaux. Néanmoins, Napoléon refuse de donner crédit aux rumeurs d’une offensive imminente. Brille Babil use de tout son talent pour convaincre ses compagnons des intentions pacifiques de l’homme. Aussi, quand celui-ci franchit les limites du domaine avec des ouvriers, les bêtes sont très surprises.

Orwell décrit dans un long passage les péripéties de l’affrontement : le combat est très difficile et violent. Frederick parvient à faire sauter le moulin mais la résistance acharnée des animaux sauve finalement la situation. La victoire est acquise au prix de nombreuses pertes

Le parallèle avec les évènements de la seconde Guerre mondiale est évident : au lendemain du pacte germano soviétique, Staline se pense à l’abri d’une invasion allemande. Aussi quand on le réveille en pleine nuit, le 22 Juin 1941, pour lui annoncer que la Wehrmacht a franchi le Niémen et marche sur Moscou, le dirigeant n’en croit pas ses oreilles. La violence des combats dans la Ferme évoque le douloureux souvenir des sacrifices consentis par l’Armée Rouge pour l’emporter sur les Nazis : villes détruites, régions ravagées, près de vingt millions de morts....

 

Chapitre n°9.

L’avant dernier chapitre du livre poursuit la description des transformations du régime de la Ferme. Officiellement, la République est installée mais dans les faits, rien n’est aussi éloigné de ce terme que les pratiques de Napoléon. Seul candidat aux élections, le meneur est élu président sans aucune surprise. On retrouve ici une allusion claire à l’existence des "démocraties" populaires d’Europe de l’Est : derrière une expression trompeuse vidée de tout sens institutionnel se cache une réalité beaucoup plus sombre : des résultats électoraux manipulés en faveur du parti communiste, seule organisation politique qui soit tolérée, une pression exercée sur les populations se rendant aux urnes.....

Le talent de Brille Babil permet l’élaboration de mensonges et de tromperies que les animaux acceptent sans se poser de question (Au moment de la mort de Malabar, par exemple). Orwell dénonce à travers l’action de l’ingénieux cochon les efforts de la propagande stalinienne pour dissimuler ou travestir les réalités les plus gênantes.

 

Chapitre n°10.

Le dernier chapitre est l’occasion d’un bilan sans concession. De nombreuses années ont passé depuis la fuite de Mr Jones mais, en fin de compte, les animaux de la Ferme estiment que rien n’a véritablement changé : au labeur quotidien épuisant s’ajoutent les privations alimentaires et le désespoir. Les pensionnaires du domaine espéraient un avenir meilleur, ils ont été trompés.

Mr Jones disparu, d’autres ont pris sa place : les cochons. Napoléon et sa clique ne sont finalement pas meilleurs que celui que les occupants de l’exploitation ont chassé. Ils adoptent peu à peu les attitudes humaines que Sage l’Ancien avait si vigoureusement dénoncées. Devant leurs compagnons médusés, les cochons prennent l’habitude de marcher sur leurs pattes arrière et de se vêtir.

La dernière scène achève le roman d’une manière comique. Néanmoins, au-delà de l’ironie que l’auteur déploie à travers ses phrases, se profile une immense déception : celle de promesses non tenues. Réunis sous les fenêtres de l’ancienne maison de Mr Jones où Napoléon et ses compères résident, les animaux observent l’intérieur du salon. Ils y découvrent les cochons en compagnie de fermiers voisins : l’alcool déborde des verres, une discussion passionnée agite les convives. Les bêtes scrutent attentivement les cochons, puis les hommes, puis à nouveau les cochons....Et là surprise ! Ils ne parviennent plus à faire la différence.....Napoléon et ses compagnons sont devenus des hommes.....

La fin de la fable prête à sourire. Pourtant, elle porte un coup terrible au Stalinisme. Orwell dévoile l’opinion qu’il se fait du régime soviétique. Staline a finalement trahi les principes de Marx. Le Communisme promettait une ère de bonheur, la délivrance de la servitude, la disparition définitive des inégalités sociales, l’égalité pour tous.....

Dans l’URSS de l’après guerre, le bilan est tout autre : des millions de personnes enfermées dans les Goulags de Sibérie, les ravages de la famine et de la maladie et surtout la domination sans partage des membres du parti communiste, enrichis, coupables de corruption, à la tête d’une dictature politique sanglante.....

La Révolution d’Octobre a-t-elle véritablement transformé la vie quotidienne des Soviétiques ? Staline est-il vraiment différent du Tsar Nicolas II ? Quand il rédige les dernières phrases de son œuvre, l’auteur invite à se poser la question...