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La Résistance déchirée : le cas de la Grèce (1941-1949).

Dans l’Europe occupée par les Nazis, rares sont ceux qui, en 1940, osent résister. Les premières actions des maquisards sont sporadiques, isolées souvent mal coordonnées. De petits groupes se forment ça et là mais chacun se bat seul et sans soutien. Les opérations sont donc limitées et affectent peu les intérêts allemands : attentats contre quelques officiers de la Wehrmacht, sabotages de voies ferrées, distribution de tracts encourageant la lutte. Les Résistants de la première heure payent d’ailleurs très cher leur engagement contre l’envahisseur : les pertes sont importantes et, faute de moyens efficaces, les réseaux sont vite démantelés par les services de la Gestapo.

La situation se modifie brutalement quand Hitler attaque l’URSS en Juin 1941. A travers le continent, les Communistes rejoignent les rangs de ceux que l’on appelle les combattants de l’ombre. La Résistance y gagne en effectifs et peut aligner sur le théâtre des affrontements des troupes plus nombreuses, mieux armées et plus performantes. Les Nazis doivent consacrer une part importante de leurs forces au nettoyage complet de régions tenues par des partisans aguerris. Les nombreuses divisions allemandes affectées à ce travail difficile et sans cesse à recommencer manquent cruellement sur les fronts de Normandie, d’Afrique ou d’Union Soviétique.

Face à l’occupant, les rangs de la Résistance ne savent pas toujours construire l’indispensable union que leur combat demande à tout prix. Certes l’objectif principal est le même pour tous : la lutte contre les Nazis et la libération des territoires nationaux. Mais, l’impitoyable guerre livrée aux armées du Reich masque assez mal les multiples fractures des Maquis européens. Les organisations accueillent toutes les bonnes volontés. Les hommes qui s’engagent viennent de nombreux horizons différents, n’ont pas forcément les mêmes idées politiques, les mêmes convictions. Que peut-il y avoir de commun entre un ouvrier communiste et un partisan de la monarchie, sinon la haine de l’Allemand ? Les Maquisards se battent, meurent ensemble mais avec beaucoup d’arrières pensées et de méfiance. Les grands dirigeants de la Résistance comprennent très tôt que les querelles politiques peuvent nuire à l’action de leurs troupes. Pendant toute la durée de la guerre, la même obsession les poursuit : unifier les rangs, faire taire les divisions et rassembler tant que l’ennemi fasciste n’est pas abattu. Une fois le conflit terminé, il sera toujours temps de régler ses comptes.

Dans la plupart des pays européens, les combattants savent se regrouper et lutter ensemble, au delà des opinions politiques de chacun. Suivant les indications de Staline, les Communistes acceptent même une alliance, toute provisoire, avec des monarchistes.

La Grèce est le seul pays d’Europe où l’union des différents mouvements de la Résistance ne se réalise pas. Pire. Les Maquisards grecs en viennent à se battre entre eux sous le regard pour le moins satisfait des Allemands...

Les troupes allemandes envahissent la péninsule balkanique au mois d’Avril 1941. En quelques jours, les armées du général Météxas sont vaincues, le drapeau nazi flotte sur l’Acropole d’Athènes.

Les Communistes sont les premiers à s’organiser pour continuer la lutte contre le Reich. Ils opèrent surtout dans les régions montagneuses, difficile d’accès pour l’occupant.

Le roi de Grèce, Georges II, réfugié à Londres observe avec inquiétude la situation de son pays. Il craint que les Résistants communistes parviennent à libérer le territoire et profitent de leur popularité pour prendre le pouvoir. La monarchie ne serait alors jamais rétablie. Le souverain envoie en Grèce des troupes soutenues par la Grande-Bretagne pour mener elles aussi le combat contre les Nazis puis récupérer le contrôle du pays dès que possible.

La confusion gagne la Grèce puisque trois camps, irréconciliables, s’affrontent désormais :

  • Les communistes qui, une fois les armées de Hitler vaincues, souhaitent installer un régime comparable à celui de Staline en URSS. Ils se rassemblent dans les rangs de l’EAS.
  • Les monarchistes qui veulent redonner à Georges II son trône, la guerre terminée. Ils forment un mouvement soutenu par les puissances occidentales, l’EDES
  • Les Allemands qui occupent plusieurs régions et entretiennent les divisions de la Résistance grecque pour renforcer leur position.

En Octobre 1943, la guerre civile éclate. Les communistes attaquent les royalistes. Des combats d’une terrible violence ensanglantent la péninsule et provoquent la mort de milliers de personnes. Les troupes du Reich contemplent avec une certaine satisfaction les furieux affrontements entre Maquisards grecs et profitent de l’occasion inespérée pour récupérer des régions que l’ennemi avait réussi à contrôler.

La capitale, Athènes, est l’enjeu d’une terrible bataille entre Résistants des deux camps au cours de Janvier 1944. Les Britanniques interviennent à la demande du roi Georges et prennent position sur l’Acropole. Ils apportent aux partisans de l’EDES l’aide nécessaire pour repousser les offensives communistes et s’emparer de la ville. Les troupes de l’EAS défaites doivent se replier. Le bilan des combats est très lourd : des milliers de personnes ont perdu la vie, victimes des bombardements ou massacrés par l’une ou l’autre faction. De jeunes adolescents, acquis à la cause communiste, se sont rendus dans les quartiers riches d’Athènes pour y égorger les habitants à l’aide de couvercles de boites de conserve...Ce détail sordide suffit à lui seul à montrer toute la sauvagerie des affrontements.

La guerre civile s’apaise ensuite quelques mois : la lutte contre les Allemands se poursuit et mobilise l’énergie des deux camps. En Novembre 1944, les dernières troupes du Reich abandonnent le pays. Entre les Maquisards la guerre reprend de plus belle : chacune des deux factions engage une véritable course contre la montre pour libérer toutes les régions possibles. Athènes demeure aux mains des monarchistes qui rappellent le roi Georges II sur le trône. L’intensité des combats ne faiblit pas entre les partisans de l’EAS et ceux de l’EDES. Des centaines de sympathisants communistes sont capturés puis jugés devant les tribunaux pour des motifs d’une rare absurdité : attentat contre les collaborateurs, assassinat d’un officier allemand, etc.

En Juin 1945, épuisés, les membres de l’EAS doivent déposer les armes. S’ensuit une terrible répression : des milliers d’exécutions sommaires, de déportations dans des camps de travaux forcés...

Entre 1946 et 1949, une troisième guerre civile secoue le pays. Les Communistes sont une nouvelle fois vaincus. Ils n’ont pas reçu le soutien qu’ils espéraient de Staline. Isolés, ils ne peuvent plus l’emporter. Des centaines de sympathisants prennent le chemin des prisons dont ils ne sortiront que vingt cinq ans plus tard.

Une dictature militaire s’installe à cette période. Elle interdit le parti communiste et réprime violemment toute forme d’opposition.

En huit ans de conflit, la Grèce a perdu environ 10% de sa population. En 1945, alors que les pays libérés des Allemands pansent leurs plaies et se reconstruisent, les Grecs poursuivent leur lutte fratricide.

La Résistance grecque ressort affaiblie et déconsidérée de ses tragiques divisions. Pendant trente ans, le régime des Colonels maintient une chape de plomb sur la péninsule.

C’est seulement en 1974 que la Démocratie revient avec la fin de la dictature et le retour du parti communiste sur la scène politique. Les prisons s’ouvrent, des dizaines d’opposants retrouvent la liberté au terme de longues peines d’emprisonnement. La Grèce peut adhérer à l’Union européenne au même titre que d’autres états méditerranéens comme l’Espagne ou le Portugal.

Les Français ont parfois encore du mal à considérer sereinement la période de Vichy. Les Grecs éprouvent la même difficulté avec leur Histoire propre : les guerres civiles des années 1940 ont laissé des marques profondes dans la mémoire collective. L’unité de la Nation s’est certes reconstruite mais le seul souvenir des temps difficiles réveillent de vieux démons. Si, dans les pays qui ont subi l’occupation nazie, la Résistance jouit d’un prestige bien mérité, en Grèce les anciens Maquisards ont du mal à trouver leur place. Ils sont longtemps restés le symbole douloureux d’une époque de luttes fratricides que les Grecs souhaitaient à tout prix oublier. Il leur faut maintenant accepter, comme tout peuple, les tristes heures du passé.