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Les angoisses de Staline.

Quand il se déplace, Staline sait mobiliser les énergies autour de sa personne. Le plus modeste voyage du dirigeant soviétique prend souvent une allure d’affaire d’Etat. La conférence de Potsdam, organisée par les Alliés victorieux en Juillet- Août 1945, est l’occasion d’une mise en scène inédite : confiné dans un train aux parois blindées et percées de meurtrières, le vainqueur de Stalingrad, fait installer le long des 1923 kilomètres de voie ferrée qui conduisent en Allemagne pas moins de 18000 hommes, soit environ de 6 à 15 soldats tous les milles mètres.

Ce dispositif, quoique coûteux et absurde, en dit long sur la personnalité du « Petit Père des Peuples ». Toute la carrière de Staline se construit autour d’une obsession unique et récurrente : la peur absolue du complot, de l’assassinat.
Inquiétudes justifiées ? Craintes irrationnelles ? Il y a un peu des deux.
Dans la Russie du XIX° siècle, l’organisation d’attentats sanglants est presque une pratique politique ordinaire lorsque que l’on veut précipiter la fin d’un règne trop long ou impopulaire. La Tsarine Catherine II est la première à indiquer la voie : son mari, Pierre III, succombe dans d’étranges circonstances, victime, selon les sources officielles de l’époque, « d’une colique hémorroïdale compliquée d’un transport au cerveau ». Expression ambiguë qui dissimule bien davantage les symptômes d’un empoisonnement fort discret.
Si Paul 1er périt étranglé en 1801, son fils Alexandre 1er meurt paisiblement dans son lit. Nicolas 1er échappe de peu aux manœuvres criminelles d’un groupe d’officiers tandis que quelques années plus tard, en 1881, Alexandre II tombe sous les balles d’un réseau secret, « La volonté du Peuple ». Quant à Nicolas II, il obtient cette fin peu glorieuse que chacun lui connaît : une nuit de juillet 1918, il disparait en compagnie des siens dans les caves de sa résidence surveillée, abattu par la rafale d’une mitrailleuse.

Staline a certainement connaissance de ce passé agité et sanglant : aussi, lorsque en Janvier 1924, il prend la place de Lénine, l’enfant de Géorgie n’ignore rien des dangers que ses fonctions nouvelles de dirigeant suspendent au dessus de ses épaules.
L’homme redoute particulièrement les agissements de ses plus proches collaborateurs parce que lui-même est remarquable manipulateur. Pour s’imposer à ses ennemis, il ne recule devant aucune nécessité : éliminations physiques de rivaux gênants, assassinats maquillés en suicide, dissimulation de preuves sont autant de moyens que l’ambitieux personnage emploie à son profit quand les circonstances l’exigent. Le malheureux Trotski, banni d’Union Soviétique et réfugié à Mexico ne survit pas aux manœuvres machiavéliques de son adversaire.

Recherche et liquidation de prétendus agents à la solde de l’Occident que l’on imagine infiltrés jusque dans les bureaux du Kremlin résonnent comme un leitmotiv de la politique stalinienne. Comme si pour se maintenir, le pouvoir devait se découvrir chaque jour de nouveaux opposants.
Dès 1928, un groupe d’ingénieurs Ukrainiens est arrêté puis jugé pour sabotage et espionnage à la faveur des puissances étrangères. A l’issue d’une instruction truquée et conduite au mépris de toute légalité juridique, onze des accusés sont condamnés à mort et exécutés.
Cette première affaire annonce les Grands Procès de Moscou quelques années plus tard. L’assassinat de Serge Kirov, membre du bureau politique, signale le début des grandes purges que le régime conduira régulièrement jusqu’au décès de son dirigeant. Aujourd’hui encore, les circonstances de l’attentat ne sont pas claires : nul ne peut prouver avec certitude que Staline n’ait pas lui-même préparé le meurtre. En tous les cas, le maître du Kremlin trouve dans l’évènement l’occasion de se débarrasser de quelques collaborateurs gênants.

Entre 1936 et 1938, des dizaines de personnes comparaissent devant les tribunaux. Les spécialistes qui ont travaillé sur la période trouble des années 1930 en URSS distinguent trois temps forts autour desquels se structure la répression menée par le Parti Communiste.
En Août 1936, les anciens partisans de Trotski, que Staline a fait exiler, tombent sous les accusations de sabotage : tentative d’attentats contre les principaux intérêts économiques du pays (Usines chimiques, voies ferrées...). Il faut garder à l’esprit le climat d’extrême tension dans lequel se déroulent les audiences : terreur des condamnés disposés à toutes les révélations qui pourront les sauver, nervosité palpable des magistrats surveillés par le pouvoir, circulation de dossiers montés de toute pièce, dissimulation de preuves.....Les interrogatoires tournent souvent à l’absurde et révèlent les failles grossières de l’instruction. Une série d’exécutions capitales achève les débats agités des jurys.

En Juin 1937, les principaux cadres de l’armée succombent à leur tour : généraux et maréchaux sont déférés devant une justice plus que jamais expéditive. Le crime des malheureux : intelligence avec le régime Nazi. Les irrégularités de l’enquête menée sont tellement évidentes que le public n’est pas autorisé à assister aux séances. Plusieurs hauts gradés sont fusillés. Leur disparition désorganise dangereusement l’Etat major soviétique à quelques mois seulement de la Seconde Guerre mondiale. Quand la Wehrmacht envahit l’URSS en Juin 1941, elle ne découvre face à elle que des régiments mal commandés et entraînés. Les procès de 1937 expliquent en partie les désastres initiaux de l’Armée Rouge au cours des premiers mois de conflit.

Les obsessions morbides de Staline s’expriment très tôt dans sa carrière politique : persuadé d’être la cible de complots imaginaires, le dirigeant renonce aux longs déplacements à travers le pays que ses fonctions lui imposent. Enfermé entre les murs du Kremlin une partie de l’année, il séjourne néanmoins régulièrement dans ses datchas des bords de la Mer Noire. Ses voyages ne sont jamais médiatisés et s’accomplissent dans le plus absolu des secrets. « Le Petit Père des Peuples » est devenu inaccessible.

Aux lendemains de la guerre, le fascisme vaincu, les heures douloureuses de l’occupation allemande passées, les purges reprennent, plus violentes que jamais. Avec la victoire disparaît la nécessité d’une union nationale auprès du chef charismatique de l’URSS.
En Janvier 1951, un groupe de lycéens, coutumier de réunions au cours desquelles chacun lit devant ses camarades un passage des œuvres de Lénine, est arrêté. Le crime : la préparation d’un attentat visant à supprimer Staline et ses principaux collaborateurs. Trois d’entre eux, juifs (ce détail annonce d’ailleurs la vaste campagne antisémite que le Kremlin prépare dans la plus grande discrétion) périssent sous les balles des pelotons d’exécution.

Début Janvier 1953. La Pravda (La vérité en Russe...), l’un des rares journaux autorisés en URSS, annonce aux Soviétiques le démantèlement d’un complot inédit. Neuf médecins du Kremlin, passés au service d’une puissante association juive américaine, auraient assassiné deux des principaux dirigeants du parti et prévu l’élimination de quelques personnalités militaires. Les accusés sont aussitôt arrêtés. Ce que la presse internationale de l’époque désigne comme « Le complot des blouses blanches » signale le premier acte d’une nouvelle purge. Cette fois, la communauté juive d’Union Soviétique est clairement menacée.

Pourtant, le décès brutal de Staline, le 5 Mars 1953, interrompt brutalement les enquêtes. Les failles de l’instruction sont tellement évidentes, les manipulations si grossières, que les successeurs du dictateur referment le dossier et libèrent les inculpés. Aucune suite n’est donnée aux évènements. Avec la disparition du dirigeant slave, s’achève l’époque trouble des procès truqués et d’une justice partiale.

L’Histoire est souvent très ironique. Staline n’a finalement pas échappé au pire de ses ennemis : lui-même. Quand il ordonne l’emprisonnement des médecins attachés à son service personnel, il se condamne seul. Plus personne ne peut, ou ne veut, le soigner. Les graves problèmes cardio-vasculaires dont il souffre laissent pourtant présager sa mort prochaine.
Le 28 Février, le vieil homme (Il a maintenant 74 ans) doit quitter avant la fin une représentation du « Lac des Cygnes » donnée pour lui. Après un repas bien arrosé en compagnie de quelques uns de ses collaborateurs les plus proches, il se retire dans sa chambre. Personne ne le voit paraître du Dimanche. On finit par s’inquiéter. On frappe respectueusement à sa porte, aucune réponse. Les gardes du corps s’enhardissent alors à forcer l’entrée de la pièce. Staline est étendu, sans connaissance, sur le tapis. Un rapide examen médical révèle les signes d’une congestion cérébrale. A la vérité, les docteurs convoqués à son chevet, ne montrent guère d’empressement à le tirer du coma. Il meurt quelques heures plus tard sans que l’on ait tenté quoique ce soit pour le sauver. Pour beaucoup, sa disparition intervient au bon moment.

La diffusion de la nouvelle dans la presse internationale produit une onde de choc mondiale. En URSS, les funérailles du dictateur sont l’occasion de désordres que les forces de police ne peuvent contenir. Des millions de personnes se pressent dans les rues de Moscou pour assister au passage du convoi mortuaire. Mouvements de foule et bousculades font des centaines de victimes.

La stupeur et le désarroi (Comme si nul n’avait voulu songer que Staline lui-même pouvait un jour disparaître) frappe aussi les pays européens. En France, l’Assemblée autorise une suspension de séance à la mémoire du dirigeant Soviétique. Dans les Démocraties Populaires, les drapeaux sont mis en berne plusieurs semaines et l’on décrète quelques jours de deuil national.

Pourtant, quelques mois plus tard, la tenue du XXI° congrès du Parti Communiste soviétique et la lecture des rapports consignant les crimes cachés du régime brisent la puissante vague de ferveur.