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L’étrange justice du Moyen-Age : le jugement de Dieu.

Les hommes du Moyen- Age accordent à la religion une place importante de leur vie quotidienne. Personne n’imagine mener son existence en dehors de l’Eglise et nulle sentence n’est plus grave que celle de l’excommunication qui rejette le condamné de la communauté chrétienne.

Une épidémie survient-elle ? Une tempête ravage-t-elle les récoltes ? La mort emporte-t-elle un être cher ? Les populations désemparées se tournent vers Dieu, à la recherche de réponses ou d’explications.

Aujourd’hui, quand un magistrat travaille sur une affaire judiciaire compliquée, il a à sa disposition tous les moyens nécessaires pour découvrir la vérité. Si le témoignage de quelques personnes interrogées ne lui suffit pas pour démasquer un coupable, il appelle à son aide les scientifiques qui, par des examens précis et minutieux, parviennent en principe à apporter la solution de l’enquête.

Il y a plusieurs siècles, les hommes n’ont pas toutes ces méthodes pour les aider. Celui qui rend la justice (un seigneur, un évêque, le roi...) ne peut compter que sur son bon sens, sa malice ou sa logique pour discerner le menteur de l’honnête personne. Parfois, les paroles des uns et des autres ne suffisent pas à désigner le coupable. Dans ces cas là, le juge n’a plus qu’une dernière solution : demander à ce que Dieu lui-même révèle la clé du mystère.

Cette attitude nous parait aujourd’hui étrange. Imaginons qu’un magistrat, incapable de découvrir le responsable d’un délit, se tourne vers Dieu en pleine audience et fasse appel à son aide...Cela en ferait rire plus d’un. La religion n’a pas sa place dans les tribunaux de nôtre pays et jamais un prêtre ne pourrait éclairer de ses conseils un procureur en difficultés. Mais au Moyen- Age, les choses ne vont pas ainsi.

Quand un homme s’estime injustement accusé par des voisins ou les membres de sa famille, il peut faire appel à la divine Providence pour se disculper. Bien sûr, même à l’époque médiévale, personne ne s’attend à ce que Dieu apparaisse en plein tribunal pour apporter sa réponse. On fait alors subir à l’accusé une épreuve (une ordalie) difficile. Si celui-ci s’en tire avec les honneurs, alors on estime qu’il disait la vérité puisque Dieu l’a soutenu et il est aussitôt acquitté. S’il ne parvient pas à accomplir la tâche imposée, alors Dieu l’a abandonné puisqu’il ment : le voilà condamné.

Ces épreuves sont terrifiantes et parfois, certains préfèrent reconnaître un crime imaginaire plutôt que d’avoir à les affronter.

Un témoignage raconte par exemple qu’en 1077, le chevalier Guillaume Pantoul est accusé de meurtre par ses parents et ses vassaux. Pour échapper à la vengeance de ceux qui le croient coupable, il se réfugie dans un monastère. Puis, il demande à être jugé à la cour de Guillaume le Conquérant, son suzerain et duc de Normandie, afin qu’il lui offre la possibilité de prouver son innocence.

Le duc accepte : il entend le témoignage du malheureux chevalier puis celui de ses accusateurs. Comme il n’est pas capable de discerner la vérité du mensonge, il décide de recourir à l’épreuve du fer chauffé. On apporte devant lui un morceau d’acier rougi par la braise qu’il désigne à Guillaume : il lui demande de s’en saisir et de le tenir fermement dans son poing quelques instants. Le pauvre homme s’exécute courageusement. On imagine l’affreuse douleur, l’odeur abominable de chair brûlée. L’épreuve accomplie, on enveloppe la main du chevalier dans un linge propre. Quelques jours plus tard, on ôte le pansement et un médecin examine les brûlures : celles-ci semblent nettes, déjà en voie de guérison. Un prêtre interrogé pour la circonstance y voit un signe favorable de Dieu qui manifeste par là sa réponse : Guillaume de Pantoul n’est pas le meurtrier, il a été injustement calomnié. Honneur doit lui être rendu sur le champ.

Quelques années plus tard, en 1114, dans la région de Soissons, un modeste paysan du nom de Clément est accusé par ses voisins de pratiquer la sorcellerie. Il est aussitôt questionné par l’évêque du diocèse. Le prélat entend de nombreux témoignages mais il n’est pas capable de découvrir si celui que l’on accuse est innocent. Il décide de recourir à l’épreuve de l’eau. Un matin, il ordonne que l’on conduise le malheureux Clément sur les bords d’un étang, les poings liés. Puis, devant le village venu assister à l’épreuve, il le fait jeter à l’eau. Entravé par ses liens, l’homme flotte comme un vulgaire morceau de bois, il n’a pas coulé. L’évêque annonce alors que le paysan est bien coupable des pêchés dont on l’accuse : l’eau est un élément pur qui rejette à la surface tout ceux qui ont la conscience lourde de fautes. Clément est tiré hors des flots, à demi noyé. L’instant d’après, déclaré hérétique, il est mené au bûcher sous les cris des villageois.

D’autres épreuves, plus rares, sont aussi utilisées lors d’une affaire judiciaire. Celle « du pain et du fromage » est bien la plus étrange. Le magistrat fait avaler à celui que l’on accuse une grande quantité de pain accompagnée de fromage de brebis. Si celui-ci s’étouffe parce qu’il ne parvient plus à avaler quoi que ce soit, on estime alors qu’il est bien coupable des fautes dont on le charge : son horrible mensonge empêche la nourriture de passer par la gorge.

L’épreuve du Christ est tout aussi particulière. Quand deux personnes s’accusent mutuellement d’une même faute et si le juge ne parvient pas déterminer laquelle dit la vérité, laquelle ment, il les fait agenouiller l’une en face de l’autre, les bras en croix. La première des deux qui esquisse le moindre geste de fatigue est déclarée coupable. Dieu ne peut soutenir les bras que d’une personne innocente.

Mille ans plus tard, tout cela prête à l’ironie. Décidemment, ces hommes du Moyen- Age étaient bien étranges. Pour leur défense, retenons qu’ils se trouvaient démunis quand il s’agissait de lever le mystère sur une affaire judiciaire. Ils utilisaient naturellement le seul recours qu’ils avaient : la Divine providence. Aujourd’hui, la science vient à nôtre secours quand nous ne parvenons pas à comprendre les clés d’une énigme. Nos moyens sont certes très différents de ceux de l’époque médiévale. Mais notre attitude n’a enfin de compte guère changé : confrontés à une enquête insoluble, nous nous tournons aussi rapidement vers les scientifiques que les hommes d’autrefois se tournaient vers Dieu...